L'épave


J´en appelle à Bacchus! A Bacchus j´en appelle!

Le tavernier du coin vient d´me la bailler belle.

De son établiss´ment j´étais l´meilleur pilier.

Quand j´eus bu tous mes sous, il me mit à la porte

En disant : " Les poivrots, le diable les emporte! "

Ça n´fait rien, il y a des bistrots bien singuliers...


Un certain va-nu-pieds qui passe et me trouve ivre

Mort, croyant tout de bon que j´ai cessé de vivre

(Vous auriez fait pareil), s´en prit à mes souliers.

Pauvre homme! vu l´état piteux de mes godasses,

Je dout´ qu´il trouve avec son chemin de Damas-se.

Ça n´fait rien, il y a des passants bien singuliers...


Un étudiant miteux s´en prit à ma liquette

Qui, à la faveur d´la nuit lui avait paru coquette,

Mais en plein jour ses yeux ont dû se dessiller.

Je l´plains de tout mon cœur, pauvre enfant, s´il l´a mise,

Vu que, d´un homme heureux, c´était loin d´êtr´ la ch´mise.

Ça n´fait rien, y a des étudiants bien singuliers...


La femm´ d´un ouvrier s´en prit à ma culotte.

" Pas ça, madam´, pas ça, mille et un coups de bottes

Ont tant usé le fond que, si vous essayiez

D´la mettre à votr´ mari, bientôt, je vous en fiche

Mon billet, il aurait du verglas sur les miches. "

Ça n´fait rien, il y a des ménages bien singuliers...


Et j´étais là, tout nu, sur le bord du trottoir-e

Exhibant, malgré moi, mes humbles génitoires.

Une petit´ vertu rentrant de travailler,

Elle qui, chaque soir, en voyait un´ douzaine,

Courut dire aux agents : " J´ai vu que´qu´ chos´ d´obscène! "

Ça n´fait rien, il y a des tapins bien singuliers...


Le r´présentant d´la loi vint, d´un pas débonnaire.

Sitôt qu´il m´aperçut il s´écria : " Tonnerre!

On est en plein hiver et si vous vous geliez! "

Et de peur que j´n´attrape une fluxion d´poitrine,

Le bougre, il me couvrit avec sa pèlerine.

Ça n´fait rien, il y a des flics bien singuliers...


Et depuis ce jour-là, moi, le fier, le bravache,

Moi, dont le cri de guerr´ fut toujours " Mort aux vaches! "

Plus une seule fois je n´ai pu le brailler.

J´essaye bien encor, mais ma langue honteuse

Retombe lourdement dans ma bouche pâteuse.

Ça n´fait rien, nous vivons un temps bien singulier...








Les quat'z'arts


Les copains affligés, les copines en pleurs

La boîte à dominos enfouie sous les fleurs

Tout le monde équipé de sa tenue de deuil

La farce était bien bonne et valait le coup d´œil


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

L´enterrement paraissait officiel. Bravo!


Le mort ne chantait pas : "Ah! c´qu´on s´emmerde ici!"

Il prenait son trépas à cœur, cette fois-ci

Et les bonshomm´s chargés de la levée du corps

Ne chantaient pas non plus "Saint-Eloi bande encor!"


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

Le macchabée semblait tout à fait mort. Bravo!


Ce n´étaient pas du tout des filles en tutu

Avec des fess´s à claque et des chapeaux pointus

Les commères choisies pour les cordons du poêle

Et nul ne leur criait: "A poil! A poil! A poil!"


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

Les pleureuses sanglotaient pour de bon. Bravo!


Le curé n´avait pas un goupillon factice

Un de ces goupillons en forme de phallus

Et quand il y alla de ses de profondis

L´enfant de chœur répliqua pas morpionibus


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

Le curé venait pas de Camaret. Bravo!


On descendit la bière et je fus bien déçu

La blague maintenant frisait le mauvais goût

Car le mort se laissa jeter la terr´ dessus

Sans lever le couvercle en s´écriant "Coucou!"


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

Le cercueil n´était pas à double fond. Bravo!


Quand tout fut consommé, je leur ai dit : "Messieurs

Allons faire à présent la tournée des boxons!"

Mais ils m´ont regardé avec de pauvres yeux

Puis ils m´ont embrassé d´une étrange façon


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

Leur compassion semblait venir du cœur. Bravo!


Quand je suis ressorti de ce champ de navets

L´ombre de l´ici-gît pas à pas me suivait

Une petite croix de trois fois rien du tout

Faisant, à elle seul´, de l´ombre un peu partout


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

Les revenants s´en mêlaient à leur tour. Bravo!


J´ai compris ma méprise un petit peu plus tard

Quand, allumant ma pipe avec le faire-part

J´m´aperçus que mon nom, comm´ celui d´un bourgeois

Occupait sur la liste une place de choix


Les quat´z´arts avaient fait les choses comme il faut

J´étais le plus proch´ parent du défunt. Bravo!


Adieu! les faux tibias, les crânes de carton

Plus de marche funèbre au son des mirlitons

Au grand bal des quat´z´arts nous n´irons plus danser

Les vrais enterrements viennent de commencer


Nous n´irons plus danser au grand bal des quat´z´arts

Viens, pépère, on va se ranger des corbillards






Les amoureux des bancs publics


Les gens qui voient de travers

Pensent que les bancs verts

Qu´on voit sur les trottoirs

Sont faits pour les impotents ou les ventripotents

Mais c´est une absurdité

Car à la vérité

Ils sont là c´est notoire

Pour accueillir quelque temps les amours débutants


Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´fouttant pas mal du regard oblique

Des passants honnêtes

Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´disant des "Je t´aime" pathétiques

Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques


Ils se tiennent par la main

Parlent du lendemain

Du papier bleu d´azur

Que revêtiront les murs de leur chambre à coucher

Ils se voient déjà doucement

Ell´ cousant, lui fumant

Dans un bien-être sûr

Et choisissent les prénoms de leur premier bébé


Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´fouttant pas mal du regard oblique

Des passants honnêtes

Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´disant des "Je t´aime" pathétiques

Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques


Quand la saint´ famill´ machin

Croise sur son chemin

Deux de ces malappris

Ell´ leur décoche hardiment des propos venimeux

N´empêch´ que tout´ la famille

Le pèr´, la mèr´, la fille

Le fils, le Saint Esprit

Voudrait bien de temps en temps pouvoir s´conduir´ comme eux


Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´fouttant pas mal du regard oblique

Des passants honnêtes

Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´disant des "Je t´aime" pathétiques

Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques


Quand les mois auront passé

Quand seront apaisés

Leurs beaux rêves flambants

Quand leur ciel se couvrira de gros nuages lourds

Ils s´apercevront émus

Qu´ c´est au hasard des rues

Sur un d´ces fameux bancs

Qu´ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour


Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´fouttant pas mal du regard oblique

Des passants honnêtes

Les amoureux qui s´bécott´nt sur les bancs publics

Bancs publics, bancs publics

En s´disant des "Je t´aime" pathétiques

Ont des p´tit´s gueul´ bien sympatiques




Les amours d'antan


Moi, mes amours d´antan c´était de la grisette

Margot, la blanche caille, et Fanchon, la cousette...

Pas la moindre noblesse, excusez-moi du peu,

C´étaient, me direz-vous, des grâces roturières,

Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière...

Mon prince, on a les dam´s du temps jadis - qu´on peut...


Car le cœur à vingt ans se pose où l´œil se pose,

Le premier cotillon venu vous en impose,

La plus humble bergère est un morceau de roi.

Ça manquait de marquise, on connut la soubrette,

Faute de fleur de lys on eut la pâquerette,

Au printemps Cupidon fait flèche de tout bois...


On rencontrait la belle aux Puces, le dimanche :

"Je te plais, tu me plais..." et c´était dans la manche,

Et les grands sentiments n´étaient pas de rigueur.

"Je te plais, tu me plais. Viens donc beau militaire"

Dans un train de banlieue on partait pour Cythère,

On n´était pas tenu même d´apporter son cœur...


Mimi, de prime abord, payait guère de mine,

Chez son fourreur sans doute on ignorait l´hermine,

Son habit sortait point de l´atelier d´un dieu...

Mais quand, par-dessus le moulin de la Galette,

Elle jetait pour vous sa parure simplette,

C´est Psyché tout entier´ qui vous sautait aux yeux.


Au second rendez-vous y´ avait parfois personne,

Elle avait fait faux bond, la petite amazone,

Mais l´on ne courait pas se pendre pour autant...

La marguerite commence avec Suzette,

On finissait de l´effeuiller avec Lisette

Et l´amour y trouvait quand même son content.


C´étaient, me direz-vous, des grâces roturières,

Des nymphes de ruisseau, des Vénus de barrière,

Mais c´étaient mes amours, excusez-moi du peu,

Des Manon, des Mimi, des Suzon, des Musette,

Margot la blanche caille, et Fanchon, la cousette,

Mon prince, on a les dam´s du temps jadis - qu´on peut...







Les casseuses


Tant qu´elle a besoin du matou,

Ma chatte est tendre comme tout,

Quand elle est comblée, aussitôt

Ell´ griffe, ell´ mord, ell´ fait l´gros dos.


{Refrain:}

Quand vous ne nous les caressez

Pas, chéries, vous nous les cassez.

Oubliez-les, si fair´ se peut,

Qu´ell´s se reposent.

Quand vous nous les dorlotez pas,

Vous nous les passez à tabac.

Oubliez-les, si fair´ se peut,

Qu´ell´s se reposent un peu,

Qu´ell´s se reposent.


Enamourée, ma femme est douce,

Mes amis vous le diront tous.

Après l´étreinte, en moins de deux

Ell´ r´devient un bâton merdeux.


Dans l´alcôve, on est bien reçus

Par la voisine du dessus.

Un´ fois son désir assouvi,

Ingrate, ell´ nous les crucifie.


Quand ell´ passe en revue les zouaves

Ma sœur est câline et suave.

Dès que s´achève l´examen,

Gare à qui tombe sous sa main.


Si tout le monde en ma maison

Reste au lit plus que de raison,

C´est pas qu´on soit lubriqu´s, c´est qu´il

Y a guère que là qu´on est tranquilles.




Les copains d'abord


Non, ce n´était pas le radeau

De la Méduse, ce bateau

Qu´on se le dise au fond des ports

Dise au fond des ports

Il naviguait en père peinard

Sur la grand-mare des canards

Et s´app´lait les Copains d´abord

Les Copains d´abord


Ses fluctuat nec mergitur

C´était pas d´la littérature

N´en déplaise aux jeteurs de sort

Aux jeteurs de sort

Son capitaine et ses mat´lots

N´étaient pas des enfants d´salauds

Mais des amis franco de port

Des copains d´abord


C´étaient pas des amis de luxe

Des petits Castor et Pollux

Des gens de Sodome et Gomorrhe

Sodome et Gomorrhe

C´étaient pas des amis choisis

Par Montaigne et La Boétie

Sur le ventre ils se tapaient fort

Les copains d´abord


C´étaient pas des anges non plus

L´Évangile, ils l´avaient pas lu

Mais ils s´aimaient toutes voiles dehors

Toutes voiles dehors

Jean, Pierre, Paul et compagnie

C´était leur seule litanie

Leur credo, leur confiteor

Aux copains d´abord


Au moindre coup de Trafalgar

C´est l´amitié qui prenait l´quart

C´est elle qui leur montrait le nord

Leur montrait le nord

Et quand ils étaient en détresse

Qu´leurs bras lançaient des S.O.S.

On aurait dit des sémaphores

Les copains d´abord


Au rendez-vous des bons copains

Y avait pas souvent de lapins

Quand l´un d´entre eux manquait à bord

C´est qu´il était mort

Oui, mais jamais, au grand jamais

Son trou dans l´eau n´se refermait

Cent ans après, coquin de sort

Il manquait encore


Des bateaux j´en ai pris beaucoup

Mais le seul qui ait tenu le coup

Qui n´ait jamais viré de bord

Mais viré de bord

Naviguait en père peinard

Sur la grand-mare des canards

Et s´app´lait les Copains d´abord

Les Copains d´abord




Les deux oncles


C´était l´oncle Martin, c´était l´oncle Gaston

L´un aimait les Tommies, l´autre aimait les Teutons

Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts

Moi, qui n´aimais personne, eh bien! je vis encor


Maintenant, chers tontons, que les temps ont coulé

Que vos veuves de guerre ont enfin convolé

Que l´on a requinqué, dans le ciel de Verdun

Les étoiles ternies du maréchal Pétain


Maintenant que vos controverses se sont tues

Qu´on s´est bien partagé les cordes des pendus

Maintenant que John Bull nous boude, maintenant

Que c´en est fini des querelles d´Allemand


Que vos fill´s et vos fils vont, la main dans la main

Faire l´amour ensemble et l´Europ´ de demain

Qu´ils se soucient de vos batailles presque autant

Que l´on se souciait des guerres de Cent Ans


On peut vous l´avouer, maintenant, chers tontons

Vous l´ami les Tommies, vous l´ami des Teutons

Que, de vos vérités, vos contrevérités

Tout le monde s´en fiche à l´unanimité


De vos épurations, vos collaborations

Vos abominations et vos désolations

De vos plats de choucroute et vos tasses de thé

Tout le monde s´en fiche à l´unanimité


En dépit de ces souvenirs qu´on commémor´

Des flammes qu´on ranime aux monuments aux Morts

Des vainqueurs, des vaincus, des autres et de vous

Révérence parler, tout le monde s´en fout


La vie, comme dit l´autre, a repris tous ses droits

Elles ne font plus beaucoup d´ombre, vos deux croix

Et, petit à petit, vous voilà devenus

L´Arc de Triomphe en moins, des soldats inconnus


Maintenant, j´en suis sûr, chers malheureux tontons

Vous, l´ami des Tommies, vous, l´ami des Teutons

Si vous aviez vécu, si vous étiez ici

C´est vous qui chanteriez la chanson que voici


Chanteriez, en trinquant ensemble à vos santés

Qu´il est fou de perdre la vie pour des idées

Des idées comme ça, qui viennent et qui font

Trois petits tours, trois petits morts, et puis s´en vont


Qu´aucune idée sur terre est digne d´un trépas

Qu´il faut laisser ce rôle à ceux qui n´en ont pas

Que prendre, sur-le-champ, l´ennemi comme il vient

C´est de la bouillie pour les chats et pour les chiens


Qu´au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi

Mieux vaut attendre un peu qu´on le change en ami

Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main

Mieux vaut toujours remettre une salve à demain


Que les seuls généraux qu´on doit suivre aux talons

Ce sont les généraux des p´tits soldats de plomb

Ainsi, chanteriez-vous tous les deux en suivant

Malbrough qui va-t-en guerre au pays des enfants


O vous, qui prenez aujourd´hui la clé des cieux

Vous, les heureux coquins qui, ce soir, verrez Dieu

Quand vous rencontrerez mes deux oncles, là-bas

Offrez-leur de ma part ces "Ne m´oubliez pas"


Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin

Un p´tit forget me not pour mon oncle Martin

Un p´tit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston

Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons...




Les funérailles d'antan


Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain

De bonne grâce ils en f´saient profiter les copains

" Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit

Venez l´pleurer avec nous sur le coup de midi... "

Mais les vivants aujourd´hui n´sont plus si généreux

Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux

C´est la raison pour laquell´, depuis quelques années

Des tas d´enterrements vous passent sous le nez


Mais où sont les funéraill´s d´antan?

Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards

De nos grands-pères

Qui suivaient la route en cahotant

Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées

Ronds et prospères

Quand les héritiers étaient contents

Au fossoyeur, au croqu´-mort, au curé, aux chevaux même

Ils payaient un verre

Elles sont révolues

Elles ont fait leur temps

Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres

On ne les r´verra plus

Et c´est bien attristant

Les belles pompes funèbres de nos vingt ans


Maintenant, les corbillards à tombeau grand ouvert

Emportent les trépassés jusqu´au diable vauvert

Les malheureux n´ont mêm´ plus le plaisir enfantin

D´voir leurs héritiers marron marcher dans le crottin

L´autre semain´ des salauds, à cent quarante à l´heur´

Vers un cimetièr´ minable emportaient un des leurs

Quand, sur un arbre en bois dur, ils se sont aplatis

On s´aperçut qu´le mort avait fait des petits


Mais où sont les funéraill´s d´antan?

Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards

De nos grands-pères

Qui suivaient la route en cahotant

Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées

Ronds et prospères

Quand les héritiers étaient contents

Au fossoyeur, au croqu´-mort, au curé, aux chevaux même

Ils payaient un verre

Elles sont révolues

Elles ont fait leur temps

Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres

On ne les r´verra plus

Et c´est bien attristant

Les belles pompes funèbres de nos vingt ans


Plutôt qu´d´avoir des obsèqu´s manquant de fioritur´s

J´aim´rais mieux, tout compte fait, m´passer de sépultur´

J´aim´rais mieux mourir dans l´eau, dans le feu, n´importe où

Et même, à la grand´ rigueur, ne pas mourir du tout

O, que renaisse le temps des morts bouffis d´orgueil

L´époque des m´as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil

Où, quitte à tout dépenser jusqu´au dernier écu

Les gens avaient à cœur d´mourir plus haut qu´leur cul

Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul




Les lilas


Quand je vais chez la fleuriste

Je n´achète que des lilas

Si ma chanson chante triste

C´est que l´amour n´est plus là


Comme j´étais, en quelque sorte

Amoureux de ces fleurs-

Je suis entré par la porte

Par la porte des Lilas


Des lilas, y en n´avait guère

Des lilas, y en n´avait pas

Z´étaient tous morts à la guerre

Passés de vie à trépas


J´suis tombé sur une belle

Qui fleurissait un peu là

J´ai voulu greffer sur elle

Mon amour pour les lilas


J´ai marqué d´une croix blanche

Le jour où l´on s´envola

Accrochés à une branche

Une branche de lilas


Pauvre amour, tiens bon la barre

Le temps va passer par là

Et le temps est un barbare

Dans le genre d´Attila


Aux cœurs où son cheval passe

L´amour ne repousse pas

Aux quatre coins de l´espace

Il fait l´désert sous ses pas


Alors, nos amours sont mortes

Envolées dans l´au-delà

Laissant la clé sous la porte

Sous la porte des Lilas


La fauvette des dimanches

Celle qui me donnait le la

S´est perchée sur d´autres branches

D´autres branches de lilas


Quand je vais chez la fleuriste

Je n´achète que des lilas

Si ma chanson chante triste

C´est que l´amour n´est plus là






Les oiseaux de passage


Oh! vie heureuse des bourgeois! Qu´avril bourgeonne

Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.

Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne;

Ca lui suffit, il sait que l´amour n´a qu´un temps.


Ce dindon a toujours béni sa destinée.

Et quand vient le moment de mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs : "C´est là que je suis née;

Je meurs près de ma mère et j´ai fait mon devoir."


Elle a fait son devoir! C´est-à-dire que oncques

Elle n´eut de souhait impossible, elle n´eut

Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque

L´emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.


Et tous sont ainsi faits! Vivre la même vie

Toujours pour ces gens-là cela n´est point hideux

Ce canard n´a qu´un bec, et n´eut jamais envie

Ou de n´en plus avoir ou bien d´en avoir deux.


Ils n´ont aucun besoin de baiser sur les lèvres,

Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,

Possèdent pour tout cœur un viscère sans fièvres,

Un coucou régulier et garanti dix ans!


Oh! les gens bienheureux!... Tout à coup, dans l´espace,

Si haut qu´il semble aller lentement, un grand vol

En forme de triangle arrive, plane et passe.

Où vont-ils? Qui sont-ils? Comme ils sont loin du sol!


Regardez-les passer! Eux, ce sont les sauvages.

Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,

Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.

L´air qu´ils boivent feraient éclater vos poumons.


Regardez-les! Avant d´atteindre sa chimère,

Plus d´un, l´aile rompue et du sang plein les yeux,

Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,

Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.


Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,

Ils pouvaient devenir volaille comme vous.

Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,

Des assoiffés d´azur, des poètes, des fous.


{x2:}

Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante!

Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu´eux.

Et le peu qui viendra d´eux à vous, c´est leur fiente.

Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.





Les passantes


Je veux dédier ce poème

A toutes les femmes qu´on aime

Pendant quelques instants secrets

A celles qu´on connait à peine

Qu´un destin différent entraîne

Et qu´on ne retrouve jamais


A celle qu´on voit apparaître

Une seconde à sa fenêtre

Et qui, preste, s´évanouit

Mais dont la svelte silhouette

Est si gracieuse et fluette

Qu´on en demeure épanoui


A la compagne de voyage

Dont les yeux, charmant paysage

Font paraître court le chemin

Qu´on est seul, peut-être, à comprendre

Et qu´on laisse pourtant descendre

Sans avoir effleuré sa main


A la fine et souple valseuse

Qui vous sembla triste et nerveuse

Par une nuit de carnaval

Qui voulu rester inconnue

Et qui n´est jamais revenue

Tournoyer dans un autre bal


A celles qui sont déjà prises

Et qui, vivant des heures grises

Près d´un être trop différent

Vous ont, inutile folie,

Laissé voir la mélancolie

D´un avenir désespérant


Chères images aperçues

Espérances d´un jour déçues

Vous serez dans l´oubli demain

Pour peu que le bonheur survienne

Il est rare qu´on se souvienne

Des épisodes du chemin


Mais si l´on a manqué sa vie

On songe avec un peu d´envie

A tous ces bonheurs entrevus

Aux baisers qu´on n´osa pas prendre

Aux cœurs qui doivent vous attendre

Aux yeux qu´on n´a jamais revus


Alors, aux soirs de lassitude

Tout en peuplant sa solitude

Des fantômes du souvenir

On pleure les lèvres absentes

De toutes ces belles passantes

Que l´on n´a pas su retenir



Les patriotes


Les invalid´s chez nous, l´revers de leur médaille

C´est pas d´être hors d´état de suivr´ les fill´s, cré nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir retourner au champ de bataille.

Le rameau d´olivier n´est pas notre symbole, non!


Ce que, par-dessus tout, nos aveugles déplorent,

C´est pas d´être hors d´état d´se rincer l´œil, cré nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir lorgner le drapeau tricolore.

La ligne bleue des Vosges sera toujours notre horizon.


Et les sourds de chez nous, s´ils sont mélancoliques,

C´est pas d´être hors d´état d´ouïr les sirènes, cré de nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir entendre au défilé d´la clique,

Les échos du tambour, de la trompette et du clairon.


Et les muets d´chez nous, c´qui les met mal à l´aise

C´est pas d´être hors d´état d´conter fleurette, cré nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir reprendre en chœur la Marseillaise.

Les chansons martiales sont les seules que nous entonnons.


Ce qui de nos manchots aigrit le caractère,

C´est pas d´être hors d´état d´pincer les fess´s, cré nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir faire le salut militaire.

jamais un bras d´honneur ne sera notre geste, non!


Les estropiés d´chez nous, ce qui les rend patraques,

C´est pas d´être hors d´état d´courir la gueus´, cré nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir participer à une attaque.

On rêve de Rosalie, la baïonnette, pas de Ninon.


C´qui manque aux amputés de leurs bijoux d´famille,

C´est pas d´être hors d´état d´aimer leur femm´, cré nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir sabrer les belles ennemies.

La colomb´ de la paix, on l´apprête aux petits oignons.


Quant à nos trépassés, s´ils ont tous l´âme en peine,

C´est pas d´être hors d´état d´mourir d´amour, cré nom de nom,

Mais de ne plus pouvoir se faire occire à la prochaine.

Au monument aux morts, chacun rêve d´avoir son nom.